On s’y retrouvait pour refaire le monde après les manifs ou les réunions syndicales. Pourtant, depuis 10 ans et la création du Ruban bleu, le café n’était plus que l’ombre de lui-même..
L’histoire
Depuis ce matin, vendredi 31 août, on ne sert plus de café ni de bière pression au Chanteclair, rue Marceau (le long du Ruban bleu). Marie Roussel lâche le bar qu’elle avait repris en 2001. Vendu pour un projet de commerce de bouche aussi, mais qui n’ouvrira pas avant l’automne.
Une page de l’histoire ouvrière de Saint-Nazaire se tourne. Et pour le comprendre, il faut remonter au siècle dernier. À l’époque, le Ruban bleu n’existe pas. Un vaste terrain sépare la rue de la Paix et la base sous-marine. « 18 000 mètres carrés avec des arbres et des chants d’oiseaux, » se souvient Marie.
La Maison du peuple, centre névralgique de la vie syndicale trône sur ce vaste espace. C’est le quartier général de la CGT, FO, CFDT… Son grand parvis juste devant le Chanteclair accueille toutes les manifestations de Saint-Nazaire. Rien à voir avec la maison des syndicats, aujourd’hui enchâssée à l’arrière du centre commercial.
Le 1er Mai, plus gros jour de l’année
« Les gars venaient boire un coup avant ou après les manifs. Mon plus gros chiffre de l’année, c’était 1er Mai, » poursuit la patronne.
Dans le petit estaminet, on croise des militants CGT, FO, CFDT, CFTC… « On s’y retrouvait pour discuter en buvant un pot après nos réunions, parfois très tard, témoigne Guy Texier, ancien responsable de l’union locale CGT, un brin nostalgique. On refaisait le monde, c’était un lieu convivial où on rencontrait d’autres gens pour parler de tout, et Marie était toujours sympa. »
Un lieu neutre sans bras de fer syndicaux ? « Oui et non , admet le syndicaliste. On connaissait nos désaccords mais on se saluait en restant correct. » Certains se souviennent quand même de relations plus froides et des mains qu’on refuse de serrer.
A l’époque, Marie Roussel propose aussi de la restauration. « 25 couverts tous les midis, ça marchait bien ! 57 francs à l’époque : entrée, plat, dessert et vin ! Les ouvriers garaient leurs camionnettes juste devant, c’était simple. »
Et puis le projet du Ruban bleu arrive en 2005. Un coup de tonnerre pour le bistrot. « Un matin, j’entends des tronçonneuses : ils étaient en train de couper tous les arbres. Et puis, ça a continué, des trous, du bruit, de la poussière… Je ne pouvais plus travailler. J’ai souffert pendant les trois ans de travaux. »
En 2008, quand ouvre le centre commercial, plus rien n’est pareil dans le quartier. « Les manifestations sont parties place de l’Amérique-Latine, les habitudes ont changé, et moi, avec ces grands murs, je ne vois même plus le soleil ! »
Malgré le soutien de quelques syndicalistes fidèles et d’habitués, le Chanteclair s’éteint doucement. Laissant sa patronne pleine d’amertume. L’établissement qui était en vente depuis deux ans, a failli être préempté par la Ville avant d’être cédé voilà quinze jours.